MEMOIRES DU SENEGAL

l’enfance qu’on a besoin des autres: le premier apprentissage. Les femmes leur donnent aussi le fond de leur marmite, quand il est noir et dur, pour qu’ils fabriquent l’encre de leur tablette d’écriture en le diluant dans l’eau. Tout se fait, bien sûr, dans une cohésion sociale tacite : les enfants sont les enfants de tout le monde, les parents sont les parents de tout le monde. Chacun sait que cet apprentissage sera le socle d’une vie en société garante de paix. On tisse les liens dès ce jour, on nomme toutes dépendances. Les mères sont les mères jusqu’à leur mort. Les enfants sont les enfants jusqu’à la mort de leurs parents. On fait la révérence devant les personnes âgées.

Dans les cours des maisons, à l’aube, un époux sénégalais salue sa femme en répétant trois fois le nom de famille de celle-ci et elle lui répond à lui par le même procédé. Je demande ce que cela veut dire, l’homme me regarde et m’explique que tous les matins il salue la lignée de son épouse qu’en disant son nom de famille il rend hommage à l’héritage de son sang. Je suis émerveillée…

Je m’intéresse aux hommes saints de la place, à leurs écrits. Ici la jeunesse est davantage passionnée par un homme qui a vaincu ses passions que par n’importe quel acteur de cinéma…

Je suis à l’université Cheikh Anta Diop, mes amis de fac prient une grande partie de la nuit et parfont leur science religieuse. Le reste du temps, ils apprennent leurs cours de fac, à la lumière des lampadaires des jardins universitaires. Ils ne sont jamais fatigués, ils passent d’un monde à l’autre avec enthousiasme. Pendant le ramadan cette année là, les examens sont maintenus. Le soir je les accompagne au restaurant universitaire couper le jeûne avec le ticket de restaurant à cet effet. Nous avons droit à une soupe, un morceau de pain avec confiture et autres, deux dattes… Le midi je mange sur le campus avec mes amis chrétiens…Il n y a aucune tension.

J’apprends tellement au Sénégal en 2002…même si les humains restent des humains dans tous les pays du monde…

Plus tard je saurai qu’élever un enfant au Sénégal, c’est lui apprendre à cacher ses dons. J’apprendrais que ce qui compte c’est d’être au même rang que tout le monde, qu’on ne doit pas blesser son camarade en lui montrant qu’on sait faire mieux que lui mais qu’on doit au contraire se mettre à son niveau pour lui donner l’opportunité d’avancer. Bien loin de toutes les nouvelles méthodes d’éducation qu’on voit poindre ici et qui permettent seulement d’exacerber au maximum l’ego de l’enfant…

Je me souviens quand mon ami cher G, me racontait, quand, enfant, il habitait en face de l’hôpital, que son père faisait toujours préparer un plat général partagé avec les malades défavorisés. Au Sénégal, la coutume est de manger dans le plat commun avec la main et G me disait que certains malades avaient des mains rongées par la maladie mais si lui ou un de ses frères s’avisait de faire la moue devant l’état d’un malade présent, il était puni comme jamais de toute sa vie.

J’ai tellement appris au Sénégal que j’ai les larmes aux yeux d’y repenser…
Quand je rentre en France je ne suis plus la même. Je continue mes études et je voyage au Canada dans ce cadre mais une idée est en train de germer dans mon cœur et je décide de créer l’antre-autre, mon café-restaurant culturel très peu de temps après.

Je fais le tour du monde, le tour de France et je visite les endroits retirés, les endroits de foi et de prière. Et je vois que c’est toujours la même histoire partout sur terre, que ceux qui ont vu, que ceux qui ont su quelque chose, que ceux qui ont compris étaient toujours des gens simples au cœur glorieux, délivrés de tous les concepts et qu’ils se sont opposés à des armées de certitudes, d’intelligences laborieuses, en colère de ne pas avoir les réponses souhaitées. Car aucune intelligence ne pourra circonscrire le monde…
En mettant ma foi dans ma poche, talisman précieux, je parcours le monde les yeux fermés, le cœur ouvert et je pense aux mondes qui disparaissent et je continue à croire comme au premier jour…


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