Je commence toujours par écrire dans les aéroports, dans les gares, au-dessus des villes, sur les rambardes de pierres ou en marchant sur les fleuves. J’écris en une seule fois, quand la lumière est opaque, étincelante, que ses rayons sont des épées et qu’ils pourfendent les ténèbres de vivre pour que la vérité éclate.
J’aime tellement le verset qui dit que l’erreur est amenée a disparaître, que seule la vérité s’assiéra dans le fauteuil de l’éternité.
J’aime que la vérité n’ait pas de contraire, que l’erreur soit simplement une façon de ne pas y aller. J’empreinte la route des fleuves pour arriver à destination. Sur les toits du monde, on surplombe le couchant et les mensonges s’effilochent dans la nuit noire. Comme un murmure involontaire, un dernier chuchotements humain avant l’aube.
L’aube portera Ton nom ou elle n’aura pas lieu et je n’ai aucun doute à ce sujet ni aujourd’hui, ni demain, ni à aucun endroit de la vie. En attendant si j’étais quelqu’un qui pleure, je pleurerai en voyant ce monde tel qu’il est : bête à pleurer. Mais comme je ne pleure pas je regarde la mer ou le fleuve.
Quelqu’un me raconte l’histoire de la nuit du pardon, quelqu’un me parle du pardon, du repentir et je me rappelle de mes années à parcourir les rues de Dakar, de San Francisco, de New York, de Bamako, d’Istanbul, à arpenter mes villes chéries du monde, je me rappelle les sourires de lumière de tous ceux que j’ai connus partout, les sourires de bénédiction de ceux qui ont pris pour modèle les humbles.
Depuis, je marche le cœur prosterné sur les fleuves et les toits, au-dessus des rambardes de pierres, qui séparent la ville du vide. Je marche le cœur prosterné de ne jamais rien savoir pour demain et d’avoir appris à tout perdre entre le vide et la vie, au sommet des précipices de l’existence, qui ne nous appartient pas.
On voudrait que la liberté soit autre chose alors que la liberté est toute entière là: dans cette connaissance suprême du vide, dans cette connaissance que demain n’est pas à nous et qu’on n’aura jamais de prise…
On voudrait que la liberté soit les droits de l’homme alors que la liberté est toute entière dans cette acceptation respectueuse de la réalité de la vie avec son lot de bruits et de silences. Et ceux qui savent demander pardon et pardonner marchent devant les autres, le cœur battant. Ceux qui savent qu’ils ne sont rien ni personne, que le vent et la vie fileront entre leurs doigts en tourbillonnant ne cesseront jamais d’être les rois du monde. Et pour les autres il y aura tout le reste : c’est à dire presque rien…
On voudrait que la liberté soit assourdissante comme un tremblement de terre alors qu’elle est cette reconnaissance ultime de tous les bienfaits dont on est comblé à chaque instant quand on respire. Elle est cette certitude que le pouvoir n’est pas pour nous, que les éléments nous dépassent et qu’il faut danser avec eux. Elle est cette acceptation que tout est toujours la meilleure place et que toutes les places qui nous sont imparties sont toujours la nôtre et que d’elles on apprend toujours ce qu’il faut qu’on sache. Et ce qu’il faut qu’on sache, c’est qu’on décide si peu de chose, qu’on est perpétuellement dans nos derniers retranchements même quand on se croit en tête de file…
Il y a tellement de pudeur à regarder et à se taire, tellement de douceur aussi et de force parce que sans la force le jour s’enlise. C’est ce que m’avait dit un vieux lors de mes voyages : quand tu vas à l’école ne montre pas que tu sais pour ne pas mettre celui qui ne sait pas en péril. La liberté c’est tout ce silence, ce renoncement à briller pour que les véritables étoiles d’amour apparaissent. Et ce sont les seules étoiles qui font disparaître la nuit du monde…
J’écris toujours depuis les gares, depuis les trains, depuis les fenêtres, j’écris depuis la mer, quand mon cœur prend le large. J’écris depuis le pardon, depuis les rêves, depuis la nuit, quand ma foi étincelle et que je suis au seuil du temps. J’écris et je me tais quand je construis des cathédrales, et si la peur me murmure je lui dis : excusez-moi d’être passée par là, j’ai très peu de temps…et je trace mon chemin vers demain en souriant…