LETTRE A MON FILS

Mon fils je t’écris cette lettre du plus profond de mon cœur parce que voudrais te dire que chacun de mes départs est un adieu. Quand je ferme la porte derrière toi, ne t’attends pas à ce que je te dise au-revoir. Ces mots, tu ne les entendras pas de ma bouche. Je ne te dirai pas que je reviendrai te chercher, je ne te dirai pas que tu me retrouveras là, intacte et souriante, après une journée passée sans moi. Mon fils, je voudrais que tu te prépares, au contraire, à ce que je ne revienne jamais. Je voudrais que tu te prépares à être seul, sans moi. Comme je suis ta maman et que j’ai une mission vis à vis de toi, je voudrais que tu saches que ce monde ne comporte pas de réponse. Mon fils, ne compte pas sur moi pour te rassurer. Je voudrais que tu mesures plutôt, à chaque fois que mon visage s’efface de ton regard, cette possibilité invraisemblable que tu te retrouves orphelin. Je voudrais que tu t’en rappelles tout le temps comme d’une donnée de ta vie, que moi, ton papa, tous les gens que tu aimes, tout ce que tu connais, peuvent disparaître en une seule fois. Mon enfant je voudrais que tu t’habitues à tout perdre, je ferai tout pour t’apprendre à être ta seule ressource.
Mon fils je voudrais te dire que chacun de mes au revoir est un adieu. Adieu : c’est à Dieu ou à la vie que je te remets.
Je voudrais surtout que tu n’aies aucune assurance de ma part sur demain, que tu prennes ton risque sans moi. Je voudrais que ton cœur soit bien fort dans ta poitrine et ta foi dans ton cœur et pour nourrir ta foi, je te répéterai inlassablement que tout change toujours, qu’aucune théorie, aucun système n’est valable, qu’en bien ou en mal, la vie peut te renverser. La vie te renversera mon fils, que tu le veuilles ou non, que je le veuille ou non, et tu seras soumis au quatre vents de ses remous et de ses falaises. Le meilleur des cadeaux que je puisse te faire, moi qui porte la dette de t’avoir précipité dans ce monde, est de t’y préparer. Je t’enseignerai l’histoire des Prophètes, paix et salut sur eux, qui contre vents et marées ont déjoué les pièges du destin et n’avaient que la miséricorde de Dieu et leur bâton de berger pour s’appuyer.

N’oublie pas, mon fils : quand le malheur ou la joie te propulseront hors de toi-même tu auras peut-être peur mais il ne faudra pas que tu pleures parce que tu n’as pas compris. Sois certain que je n’ai pas compris tout ce qui m’est arrivé dans la vie mais que la partition qu’elle a joué pour moi était la meilleure musique du monde. Sois certain que j’ai saisi les opportunités qui m’ont été offertes par le malheur et par le bonheur et que j’ai fait des uns le socle de ma force et des autres le puits de ma reconnaissance.
Mon fils, je voudrais que tu te prépares à rentrer dans ce monde violent dans lequel tu vis et pour lequel personne ne te donnera des explications. Je voudrais que tu sois sûr que quand l’amour, la maladie ou la mort te frapperont de plein fouet personne ne viendra te lire de mode d’emploi. Je voudrais que tu adoptes comme une donnée inaltérable le fait que tu ne retrouveras peut être pas ton lit ce soir, que tout ce que tu as connu peut déjà faire partir de ton passé. Je voudrais t’armer mon fils et que tu ne t imagines pas que le monde est un cocon doux dans lequel s’appesantir. La vie est un tourment, un précipice et en même temps elle est si courte et fragile que tu n’auras pas le temps de la voir défiler. Mon fils tu es tellement important et la joie qui émane de ton cœur est communicative. Tu la portes avec toi, surtout quand tu nous observes, nous les adultes sérieux, en train de réfléchir sur l’essence du monde. Dans ces moments là, j’entends alors le tourbillon de ton rire s’abattre sur nos gravités et nos pensées. Tu es tellement solaire que je n’ai pas trop peur et je t’ai fait boire à ce lait continuel de renouveau et de risque depuis que tu es né. Mon fils tous mes au revoir sont des adieux et je me donne le mal de vivre pour te l’apprendre. Si tu l’oublies tu auras peur et froid, tu te sentiras en insécurité dans les plus confortables des palais. Mon fils tous mes au revoir sont des adieux et je ne te donnerai pas de béquilles pour apprendre à marcher même si tu tombes. Tu auras seulement de ma part tout l’amour du monde pour la tâche que tu devras accomplir en relevant le défi de vivre…C’est ta maman qui te l’écrit : tous mes au revoir sont des adieux.

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