Penchée sur le lit du blessé, du malade, du convalescent, je me souviens des histoires du désert, je me souviens des Prophètes, paix et salut sur eux, qui accompagnaient leurs semblables du berceau à la tombe…en les aimant.
Je me souviens de leur pas qui résonnent si fort sur les routes de la nuit que mon cœur bat. Et notre condition d’homme qui nous met tous en rang fait lentement écho au silence et au bruit et j’oublie les noms aimés, appris par cœur, murmurés, criés, éteints dans ma bouche faute de réponse et je les remplace par d’innombrables prières qui apparaissent comme des chapelets bondissant au bout de ma main…
Penchée sur le lit du blessé, du mort, de l’enfant, une main sur le front de fièvre, je me rappelle des milliers d’années parcourues sans que l’homme apprenne quoi que ce soit en dehors de la maladie, de la guerre, de la mort, de la souffrance, points ultimes de ralliement à soi-même s’il en fallait plusieurs et que le bonheur n’y suffisait pas.

Penchée sur le lit de la nuit, là où les étoiles se noient dans le regard du mort, du malheureux, de l’homme avec son bagage de faiblesse et qui se croit libre, entier, invincible, mais qui n’est rien en somme, rien qu’une plume qui vole dans le tourbillon de Dieu, dans la tempête du soleil éclatant… L’homme transpercé de part en part par la faiblesse de sa matière et qui se voudrait encore orgueilleux, analysant, critiquant, spécialiste, échafaudant des plans démesurés pour nier sa condition de terrien, de terre, de feu et d’eau, emporté aux quatre vents de demain par la vie qui le dépasse et qu’il met perpétuellement au défi.
Je pense aux épaules du désert, larges et robustes de mes Prophètes bien-aimés, paix et salut sur eux, mes charpentiers, mes bergers et mes rois qui sont venus montrer aux hommes un chemin de lumière et d’amour en dépit de la mort écrite dans les désirs altiers.
Je pense aux saints de toutes espèces et je me souviens de l’histoire des insulaires qu’on m’avait racontée d’abord quelque part et que j’avais fini par lire dans un livre.
Je me souviens des communautés idéales du passé à l’esprit clair comme de l’eau de roche et au cœur limpide comme le présent. Je me souviens des histoires de mosquées en terre battue, d’églises ouvertes et sans fard, de synagogues de tissus et de bois, tous ces lieux de lumière et de silence où le cœur recueilli contemple. Et je pense à Satan, l’ange déchu, fier et arrogant qui ne voulait pas se prosterner devant la condition de l’homme, son imperfection, sa faiblesse. Je pense à Satan et à l’orgueil insoutenable, à cet ange qui avait prié dix mille ans en adorant son Seigneur et qui s’est cru supérieur une seule fois au décret et qui a proclamé que la terre ne valait pas le feu…

Je pense à l’orgueil, à la rage, à l’impuissance, au manque de reconnaissance alors que tout est là. Je pense à ces femmes et à ces hommes qui de tout temps font de leur mieux, dans leur univers, leur monde avec leur pauvreté ou leur richesse et qui balaient d’un revers d’amour les cruautés imbéciles, les avis bien pensés et bien pensants de ceux qui ont le cœur vide.
Je pense à ce vieux sage qui me disait, à mon grand étonnement, un jour de jeunesse, de ne jamais faire confiance à un homme pauvre. « Excusez moi de vous faire répéter » lui avais je murmuré, persuadée qu’il avait voulu dire le contraire. « Oui, me répondit-il. Un homme pauvre peut te faire des promesses de bonté tant qu’il n’a rien mais tu mesureras sa valeur le jour où tu le verras agir avec une fortune dans sa main. Seuls ceux qui, avec une grande fortune, continuent à faire le bien sont véritablement dignes de confiance. » Et longtemps après, j’ai pu vérifier que la vie donnait raison à ce vieux sage que j’aimais tant…
Penchée sur le lit du malade, du blessé, du repentant, du solitaire, je compte les heures qui me séparent de toujours et le temps s’effrite dans ma main, et pendant que les cadavres peuplent les cimetières, je cherche les histoires passées du temps jadis, celle des hommes et des femmes de cœur qui savaient reconnaître un bienfait d’un malheur. Je cherche par delà l’horizon et la mer la communauté de ces gens insulaires qui savait que la vie les dépasse, que seules les aumônes et les prières lavent la terre et donnent sa mesure à l’humanité.
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