L'ENGAGEMENT

Ce jour-là il pleut. J’ai fermé l’année derrière moi, ça y est. J’ai donné mon dernier cours de la session. J’ai rangé mon sac, j’ai plié cette année de visioconférence avec les étudiants que j’ai quand même pu voir de visu sur deux cours, dont le dernier. Les visioconférences, c’est une vraie chance quand je pense aux enfants burkinabé dont on a brûlé les écoles. Mes premiers élèves étaient burkinabé. J’avais 18 ans, ils étaient aux lycées et je faisais du soutien scolaire à Ouagadougou. Le premier jour d’école je leur avais fait remplir une fiche de présentation sur leurs lacunes et leurs rêves. Ils s’appelaient Fatimata, Ella, Paul… et ils attendaient tout de l’école, plus largement de l’apprentissage. Que sont-ils devenus aujourd’hui ? J’ai un pincement au cœur si je pense à eux en fermant la classe de mes étudiants lyonnais.
Ce jour-là il pleut et je rentre à pied sous la pluie. C’est très agréable d’être dehors, de sentir les gouttes dans la journée qui finit.
Le groupe de mes étudiants a été un vrai plaisir d’échanges et de rencontres. Comme l’année dernière je clôture en leur parlant de l’engagement et en leur demandant quelles sont les personnes qui ont marquées leur vie, les valeurs de ses personnes et leurs actions. C’est finalement un moment assez intime où en parlant de quelqu’un d’autre on se livre soi-même. J’obtiens de belles réponses de leur part qui me font savoir un peu plus qui ils sont. Certains me parlent de leurs parents, de leurs grands-parents, de leur lignée. Ils sont rattachés à des racines et ils savent d’où ils viennent. Cela donne de l’élan à leur trajectoire. Ce jour-là il pleut et je voudrais leur redire que la transmission est sacrée.
Ce jour-là il pleut et je revois mes élèves burkinabé tellement attentifs et volontaires et je repense à mon année universitaire à Dakar quand les étudiants se réunissaient sous les lampadaires de l’éclairage public pour apprendre leurs leçons, la nuit. Comme mes étudiants de cette année ont presque tous imaginé un projet créatif en lien avec l’étranger je leur parle des sociétés traditionnelles et des enseignements d’Afrique de l’Ouest où la patience et la contrainte développent le caractère. Je pourrais leur parler des heures de ces sociétés dans lesquelles un élève brillant à l’école cache ses dons à ses camarades pour ne pas les mettre en péril dans leur estime d’eux-mêmes. Bien loin du « moi je » inculqué de si bonne heure aujourd’hui…Le plus important là-bas sera d’apprendre à ne pas rabaisser l’autre bien plus que de montrer au monde qu’on sait faire quelque chose…Ne pas sauter une classe mais se mettre au niveau du plus faible pour l’accompagner. Je voudrais leur dire encore et encore : à quoi cela sert de bien lire ou de bien écrire ou de bien compter si on ne sait pas bien aimer?
Je suis engagée à chaque fois que je respire depuis la pointe de mes cheveux jusqu’à la racine de mes pieds et la lumière de mon cœur témoigne de la force de mon amour. Je suis engagée par tout ce que je touche, par tout ce que j’aime et je marche dans la vie à côté de mes arbres chevaleresque qui viennent au secours de l’univers. Je suis engagée dans toutes mes rencontres, à chaque fois que je dis bonjour et que j’appelle quelqu’un par son nom pour le nommer et qu’il existe. De même, je suis engagée quand je termine une conversation, que je dis au revoir, que je salue et que je finis mes lettres par ma signature pour dire que je suis bien là au moment où je vous écris. Je suis engagée par chaque centimètre de ma peau, dans tout ce que je regarde avec mes yeux ouverts, je suis engagée dans tout ce que je crois et je tiens mes promesses, même si c’est l’encre de mon sang qui scelle mes serments. Je suis engagée dans chacun de mes silences même s’ils sont de plus en plus profonds, obscurs, opaques… Je suis engagée à vivre cette vie et tout ce qu’elle comporte d’absurde et de lumineux avec la reconnaissance totale d’avoir été placée, là, à l’endroit exact qui me revient de fait, parce que j’ai été configurée par Dieu pour être moi et que les autres sont eux avec la plénitude totale qui fait la joie de leur perfection. Je suis engagée à chaque fois que je marche, que j’ouvre mon cœur, que je vole en plein ciel avec mes rêves en bandoulière et je laisse s’échouer la vie mièvre et ennuyeuse des commentateurs qui commentent, des prisonniers qui s’enferment dans le poids de leurs idées sur tous les sujets du monde et qui n’ont plus d’imagination et d’honneur pour répondre à la vie. Je suis engagée et quand l’heure sonne minuit à mon cœur je relève le défi de vivre en sautant sur mes deux pieds et j’avance…

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