LES CAÏMANS Je...
Lire PlusJe pense à ma foi totale et je regarde avec émotion l’architecture de la vie, comment de la façon la plus parfaite tout a été agencé pour nous offrir les meilleures conditions possibles sur la terre. Je pense aux animaux, aux plantes, aux paysans. Je suis heureuse d’avoir grandi avec la terre, élevée par des paysans, élevée par mes animaux qui m’apprenaient la douceur, qui m’apprenaient l’amour, la mort, la vie: les secrets de notre présence au monde.
Et je pense aux Prophètes, paix et salut sur eux, ces hommes simples, ces bergers, ces charpentiers, qui ont prôné la liberté la plus complète, qui ont émancipé les peuples de la façon la plus spectaculaire qu’il soit. Apprendre à être autonome, n’avoir aucun autre maître que le Créateur qui dispense toutes ses subsistances au monde, ne pas s’abaisser devant les futilités de ce monde, ne pas avoir peur de ceux qui semblent détenir le pouvoir, croire aux miracles, voilà le berceau de la foi…Et pour enseigner ces préceptes les Prophètes n’hésitaient pas à chasser les marchands du temple à coups de fouet, à sauver les femmes de la tyrannie, à accueillir toutes les origines, toutes les classes sociales, à rassembler autour d’eux les plus faibles en leur donnant tous les soins nécessaires jusqu’à la victoire complète de la paix et de la bonté. Pourtant même ces figures d’ouverture, d’amour, de liberté absolue se sont vite retrouvé enfermées dans des conceptions que les humains se faisaient de la vie elle-même. Et ceux qui aujourd’hui se revendiquent d’une ouverture spirituelle prêchent le même message simple que les Prophètes, paix et salut sur eux, mais ne peuvent même pas imaginer qu’il y a le moindre lien entre le sens premier de la religion et leur pratique de la foi.
Je me souviens avec émotion d’une histoire qui m’a bouleversée, concernant un esclave du nom de Bilal, qui vivait au temps où le Prophète, paix et salut sur lui, commençait à délivrer son message. Bilal était un esclave noir possédé par un riche marchand arabe et, depuis qu’il avait entendu le Prophète dire qu’aucun homme n’avait autorité pour faire du mal à un autre ne cessait de répéter à son maître que, certes, son corps lui appartenait bien mais que son âme ne lui appartiendrait jamais quoi qu’il fasse. Le maître lassé de ce discours avait fini par faire attacher Bilal sur la place publique et le faisait torturer par ses sbires en lui demandant de répéter que son corps et son âme lui appartenaient en totalité. Mais Bilal refusait systématiquement de se soumettre à ce maître inique et soudain, un riche marchand de la ville, Abû Bakr, ami du Prophète, avait fait partir son serviteur sur place pour le rachat de ce captif. Le serviteur d’Abû Bakr s’adressant au maître de Bilal lui avait demandé à quel prix il serait prêt à lui céder Bilal. Le maître de Bilal avait répondu en riant au milieu de la foule transie qu’il ne vendrait Bilal que pour 10 pièces d’or. C’était une grosse somme et le serviteur d’Abu Bakr avait alors compté une large bourse et jeté les 10 pièces d’or qu’elle contenait aux pieds du maître de l’esclave. Celui-ci surpris et heureux du marchandage s’était écrié: « ton maître a accepté d’acheter cet esclave pour 10 pièces dehors alors qu’il en vaut 3, il a fait un mauvais marché… » Et le serviteur d’Abû Bakr de répondre : « mon maître allait te donner 100 pièces d’or pour le rachat de Bilal… ».
J’aime que les nobles causes aient réuni des gens de bien, pauvres, riches, hommes, femmes de tous les pays…J’aime que les nobles causes n’aient exclu personne, tirant chaque âme vers le haut. J’aime que ceux qui ont amené le monde vers le bien ne l’aient pas fait à cause de la loi, ni parce qu’ils avaient des droits mais à cause de leur amour total.
Je me souviens quand j’étais à la fac j’avais eu un sujet de dissertation en littérature comparée qui était : qu’est-ce que la nuit dans voyage au bout de la nuit de Céline ? J’avais adoré ce sujet et j’avais bien réussi. J’avoue que livre de Céline ne m’a pas marqué et qu’à part le titre je n’en garde aucun souvenir mais j’avais compris la nuit dans son œuvre, je crois même que j’avais compris la nuit partout. Et quelque part aujourd’hui avec tout ce qu’on voit, avec tous les pas marchés qui n’ont aucun sens, je pense souvent à ce voyage au bout de la nuit. Je me demande toujours quand est-ce qu’on va arriver au bout de la nuit, si on est encore loin, si la nuit sera totale quand les cœurs seront complètement fermés. Je me demande si la nuit sera le jour où le monde sera réglementé sous toutes les coutures où il n’y aura plus de spontanéité, de véritable tendresse, de douceur, de lumière.
Je comprends pourquoi tous les messages spirituels nous renvoient à notre âme d’enfant et font travailler notre candeur, notre capacité à nous émerveiller de tout, notre reconnaissance. Car c’est la seule évolution possible, la seule rémission envisageable. Tout était tellement bien parti, le monde comme un cadeau avec toute la nature, tous les bienfaits, tout ce qui avait été créé en vérité et avec un sens. Car la première étape de l’éveil est bien de se rendre compte, d’ouvrir les yeux, de voir les miracles perpétuels dans l’ensemble de la création. Voir que tout est parfaitement agencé pour qu’on trouve sur terre les moyens à notre accomplissement dans le respect et l’amour de tout ce qui vit. Voir que dans l’organisation du monde, tout concourt magistralement à la vie et que là où elle s’arrête seule notre conception humaine est responsable. Et c’est quand nous nions la réalité que nous rendons le monde incompréhensible… Toujours je pense à la lumière, à combien elle a des droits, à comment elle peut tout prendre quand elle illumine le jour, les cœurs, la vie.
J’ai fermé l’antre-autre il y a trois ans avec autant de joie que je l’avais ouvert. J’ai pris le tison, le foyer de l’âtre, et je l’ai emmené ailleurs où a continué la lumière. Là où il brûle aujourd’hui plus de gens encore viennent se chauffer, il bénéficie de toute la lumière du cœur de ceux qui ont alimenté ce feu avant eux. S’ils me lisent à présent ils sauront que l’étincelle qu’ils ont allumée n’est pas vaine, que quelque part elle donne de la lumière à plusieurs maisons, qu’elle donne de l’eau aussi à plusieurs personnes, qu’elle donne des légumes et des fruits. Que ceux qui ont aimé l’entre-autre, que ceux qui ont mangé là-bas, qui ont déclamé des textes de Slam, qui ont fait des concerts, des ateliers, sachent qu’aucun véritable feu ne s’éteint jamais, que tout ce qui a commencé avec le cœur a une destination et continue d’alimenter le monde Et que contre cette lumière là, la nuit n’aura jamais de prise…